Chronique désenchantée de ses années passées dans la capitale allemande, Christopher Isherwood fait, à travers une série de personnages fictifs inspirés de rencontres réelles, le portrait d’un pays aux prises avec le national-socialisme et raconte la descente aux enfers d’une ville qui était jusque-là synonyme de liberté d’esprit et de mœurs.
Paru en 1939, traduit pour la première fois en français en 1946, Adieu à Berlin passa dès 1951 des rayons des librairies à la scène, date à laquelle John Van Druten en tira une pièce de théâtre intitulée I Am A Camera. S’ensuivirent un film adapté de la pièce de théâtre en 1955, une comédie musicale (Cabaret) en 1966 et un film adapté de la comédie musicale en 1972.
Adieu à Berlin peut se lire comme un roman autobiographique ou un recueil de nouvelles (ce qu’il était à la base) : Journal à Berlin (automne 1930), Sally Bowles, Ile de Ruegen (été 1931), Les Nowak, Les Landauer, Journal à Berlin (hiver 1932-1933). Sally Bowles est la partie la plus connue et discutée (et celle qui aura inspiré la comédie musicale) mais la plus marquante est sans conteste la dernière, qui revient sur les évènements de 1932-1933 : la montée en puissance du nazisme, le boycott des magasins juifs, les lynchages, etc.
Ce n’est pas la peine de tenter des explications ou de parler politique. La voici déjà en train de s’adapter, comme elle s’adaptera à n’importe quel nouveau régime. (…) Des milliers de gens pareils à Frl. Schroeder sont en voie d’acclimatation. Après tout, quel que soit le régime au pouvoir, ils sont bien obligés de vivre dans cette ville. – p.279
Avec un art maitrisé de l’allusion et de l’ellipse, Christopher Isherwood évoque indirectement et sans emphase la tempête nazie qui menace. Il observe plus qu’il ne critique, ses opinions personnelles sont plus sous-entendues que réellement énoncées. Il ne s’implique en rien et est tellement en retrait qu’on en viendrait presque à le trouver antipathique. Mais ce recul est volontaire et assumé : “[il est] une caméra braquée, absolument passive, qui enregistre et ne pense pas.” Christopher Isherwood a choisi de ne porter de jugement d’aucune sorte, il laisse au lecteur le soin de se faire son propre avis sur les actes de chacun.
Je suis une caméra braquée, absolument passive, qui enregistre et ne pense pas. Qui enregistre l’homme en train de se raser à la fenêtre d’en face et la femme en kimono qui se lave les cheveux. Un jour, il faudra développer tout cela, l’imprimer avec soin, le fixer. – p.13
Malgré le sujet sérieux, Christopher décrit avec humour et ironie la vie dans le Berlin des années 30, ses cabarets, ses bars mal famés, la montée de l’antisémitisme. Lui qui traversa la Manche pour vivre librement son homosexualité et profiter d’un Berlin frivole devint le témoin muet d’événements qui auront à jamais changé le monde, des événements si atroces que “même à présent [il] ne parvient pas à croire que rien de tout cela ait vraiment existé”.
“Vous êtes en train de préparer la guerre” (…)
“C’est absolument faux. Le Führer ne veut pas la guerre. Notre programme, c’est la paix, dans l’honneur. Cependant, ajoute-t-il avec une lueur nostalgique dans l’expression, la guerre, cela peut être quelque chose de beau, vous savez ! Pensez aux Grecs de l’Antiquité !”
Je rétorque :
“Les Grecs de l’Antiquité ne se servaient pas de gaz asphyxiants”. – p.134
Adieu à Berlin – Christopher Isherwood | Grasset
Adieu à Berlin, d’où a été tiré le célèbre film Cabaret, est le chef-d’œuvre de Christopher Isherwood, un des plus grands écrivains anglo-saxons du XXe siècle. Dans le Berlin de l’entre-deux-guerres, capitale de toutes les avant-gardes et de toutes les audaces, un jeune Anglais loue une chambre chez l’envahissante et sympathique Fräulein Schroeder. Il y fait la connaissance de Sally Bowles, jeune chanteuse de cabaret convaincue qu’elle deviendra une star. Et voici la vie de bohème, sortir tous les soirs, escroquer des riches, fréquenter une héritière et aimer un couple de garçons qui se déchire. Chronique de la fin d’un monde, des derniers jours de plaisir et des premiers jours du nazisme. Quand l’enfer rencontre le paradis.