Quand j’ai appris qu’un musical basé sur le American Psycho de Bret Easton Ellis était en projet, j’étais très curieuse. Quand j’ai appris que Matt Smith jouerait Patrick Bateman, j’étais obligée d’y aller.
Écrit par Roberto Aguirre-Sacasa, dirigé par Rupert Goold et avec Duncan Sheik à la musique, American Psycho – a new musical thriller était devenu mon musical préféré dès l’entracte.
Les créateurs du musical ont réussi l’exploit de rendre tout l’humour, l’horreur et le désespoir qui se dégage du roman de Bret Easton Ellis. Bien plus que la psychopathie de Patrick Bateman, c’est ce désespoir qui m’avait le plus marqué à ma lecture, avec tous ces personnages futiles qui ne vivent que pour le luxe, le sexe, la drogue et des abdos en acier; qui peuvent passer des heures à disserter sur les différences entre les marques d’eau ou bien sur les cartes de visites (passage culte, aussi bien dans le livre que le film ou le musical). On ne sait jamais s’il faut rire ou pleurer tellement c’est affligeant.
Le musical joue à la perfection sur ce ridicule. American Psycho est complètement décalé, très psychédélique – aussi bien au niveau des décors, que des costumes et des chorégraphies (You are what you wear et Hardbody sont particulièrement mémorables). Pour ce qui est des meurtres, c’est souvent plus suggéré, mais les sons et les gerbes de sang sur les murs suffisent à montrer la violence de la scène. L’addiction au sexe de Bateman est bien plus explicite – entre la partie à trois avec l’énorme ours en peluche rose et la soirée avec les deux prostituées avec positions du Kama-sutra projetées sur les murs – peu de place est laissée à l’imagination.
Clean est la chanson idéale pour ouvrir ce musical, qui décrit le mieux Patrick Bateman et son entourage et qui représente à la perfection ce “un parmi tant d’autres”: le cast arrive, se place dans les allées, tous vêtus de la même façon et chantent “We are so clean… the American dream” / “We are faceless… perfect faces”? Ils sont rejoints par Matt Smith qui, depuis la scène, devant son lit à UV, simplement vêtu d’un caleçon blanc et d’un masque chante avant de nous expliquer “What Patrick Bateman means to [him]” et de nous décrire ses vêtements, leur marque. C’est kitsch à souhait, mais c’est tellement réussi qu’on ne peut qu’être fasciné.
La tracklist mêle compositions originales de Duncan Sheik et reprises de chansons des années 80. Les chansons, très pop et électro de Duncan Sheik restent dans la tête (ce qui est fort agaçant au fond car il n’y a pas d’enregistrement disponible à ce jour). Duncan Sheik a choisi d’utiliser en grande partie des synthétiseurs et autres drums machines pour que l’ensemble soit très électro. Mais pas seulement parce que c’est très représentatif : il explique dans le programme qu’il a voulu “utiliser des sons inorganiques comme une façon de penser ces personnages qui ne s’intéressent qu’à la surface des choses, à leur apparence et à leurs vêtements. Ce qu’il y a à l’intérieur est en quelque sorte ignoré ou repoussé – aux risques et périls de chacun”.
Dans le cast, beaucoup sont des habitués des comédies musicales (Cassandra Compton, Holly James, Lucie Jones, Eugene McCoy, Hugh Skinner – pour n’en citer que quelques uns) et puis il y a Matt Smith, qui non content d’interpréter l’un des personnages les plus fascinants de la littérature américaine du 20ème siècle, fait là ses tous premiers pas dans le monde de la comédie musicale et s’en sort – sans réel surprise je dois dire – merveilleusement bien !
Il en va d’ailleurs de même pour tout le reste du cast : Ben Aldridge (Paul Owen – tellement classe même quand il meurt), Cassandra Compton (formidable Jean !), Susannah Fielding (Evelyn Williams – tellement agaçante) et les autres. Mention spéciale à Jonathan Bailey, absolument fantastique en Tim Price ! C’est donc d’autant plus regrettable qu’il soit si peu présent sur scène.
Matt Smith joue à la perfection Patrick Bateman – un yuppie parmi tant d’autres (on le confond toujours avec un de ses “amis”), prisonnier d’une vie vaine et futile et qui ne trouve comme exutoire que la violence et le meurtre. Le Patrick Bateman de Matt Smith est déphasé, un spectateur au centre du vide, qui vous expliquera d’un air tout aussi impassible comment porter une veste de sport ou faire disparaitre un corps. Avec American Psycho, Matt Smith prouve ce que je dis depuis plusieurs années maintenant : il est un acteur à suivre, de très près.
Ce billet arrive un peu tard sachant que la dernière a eu lieu hier soir, mais avec un peu de chance, American Psycho aura droit à un transfert vers un théâtre du West End – et ce serait vraiment mérité car le musical est – pardonnez le jeu de mots – mortel !