Pourquoi « Hamilton » c’est « awesome, wow ».

Depuis le 3 juillet dernier, sur Disney+, il est possible pour le monde entier de découvrir la comédie musicale Hamilton. Le spectacle, créé par le génial Lin-Manuel Miranda, à qui l’on devait déjà l’excellente In The HeightsJ’ai vu le spectacle deux fois sur scène à Londres (et j’aurais dû le voir une troisième fois cet été, mais pandémie oblige, cela a été annulé) et c’était du pur bonheur à chaque fois. Si vous me suivez sur les réseaux, vous n’avez pu manquer mon spam sur cette comédie musicale mais maintenant que le spectacle est visible par le monde entier, je peux vous expliquer plus concrètement pourquoi cette comédie musicale est absolument « awesome, wow ».

[Spoilers sur certaines scènes du spectacle]

De « The Hamilton Mixtapes » à « Hamilton : An American Musical »

Je ne vais pas vous relater toute la genèse du spectacle, sachez juste que tout a commencé en 2008, quand Lin-Manuel Miranda est parti en vacances avec la biographie de Ron Chernow consacrée à Alexander Hamilton dans sa valise. Dès les premières pages, son cerveau s’est mis en ébullition, et The Hamilton Mixtapes, un concept album hip-hop, a commencé à s’écrire dans sa tête. Un an plus tard, il interprétait ce qui deviendrait « Alexander Hamilton » devant le président Obama. Après plusieurs workshops au Vassar College en 2013, des rencontres déterminantes et un changement de titre, le spectacle se jouait pour la toute première fois au Public Theatre en janvier 2015.

And the rest is history comme on dit.

Lin-Manuel Miranda est un génie

Lin-Manuel Miranda a intégralement créé le spectacle : l’histoire, les paroles, la musique – il a tout écrit et composé seul. Et c’est du pur génie. Oskar Eustis, le directeur artistique du Public Theatre, compare Lin-Manuel Miranda a William Shakespeare et c’est tout à fait vrai. Lin-Manuel Miranda prend les mots, les tourne dans tous les sens, les assemble, les fait rimer, les travaille et retravaille inlassablement, et nous offre 46 chansons (sans compter celles supprimées) truffées de double-sens, de références à d’autres artistes et comédies musicales, de rythme et de rimes. 

Rien que ces quatre petites phrases dans la première chanson Alexander Hamilton, donnent un aperçu du génie de Lin-Manuel Miranda. À première vue, il n’y a pas vraiment de signification cachée, mais quand on sait que certains rôles sont interprétés par la même personne d’un acte à l’autre, soudainement, elles prennent un tout autre sens.

[MULLIGAN/MADISON & LAFAYETTE/JEFFERSON] 
We fought with him :
> Okieriete Onaodowan interprète Hercules Mulligan (acte 1) et James Madison (acte 2), tandis que Daveed Diggs joue Lafayette (Acte 1) et Thomas Jefferson (Acte 2). Mulligan et Lafayette étaient les amis d’Hamilton, Madison et Jefferson étaient au contraire contre lui – dans les deux cas, ils se sont battus avec lui : à ses côtés, pendant la guerre, pour Mulligan et Lafayette, et contre lui, au gouvernement, pour Madison et Jefferson.

[LAURENS/PHILIP] 
Me? I died for him
> Les deux rôles sont interprétés par Anthony Ramos. John Laurens (acte 1) était le plus proche ami d’Hamilton (et plus si affinités) et Philip (Acte 2) était son fils. Dans les deux cas, les deux sont morts pour lui, pour défendre sa cause et son honneur.

[WASHINGTON]
Me? I trusted him

[ELIZA & ANGELICA & PEGGY/MARIA]
Me? I loved him
> Jasmine Cephas Jones joue Peggy Schuyler dans l’acte 1 puis Maria Reynolds dans l’acte 2. Dans les deux cas, son personnage a aimé Alexander Hamilton, que ce soit en tant que belle-soeur ou en tant que maitresse.

[BURR]
And me? I’m the damn fool that shot him

Si vous voulez en savoir un peu plus sur son processus d’écriture, je vous invite à aller lire les paroles sur le site Genius : chaque chanson est accompagnée de commentaires explicatifs (et validés par Lin-Manuel Miranda himself).

Hamilton : A Hip-Hop musical 

Si Hamilton est aussi apprécié, c’est parce que le style de musique diffère énormément de ce qu’on s’attendrait à voir dans une comédie musicale historique. Certes, In The Heights mêlait déjà rap, hip-hop, salsa, mais cela ne choque pas car on est là dans les années 90, en plein quartier hispanique de Washington Heights. Une musique contemporaine pour une histoire contemporaine ? Normal. Mais du rap, hip-hop, jazz, pop pour une comédie musicale historique, qui se passe au 18ème siècle ? C’est inhabituel ! D’autant plus que la mise en scène suit le style de musique. Jamais de ma vie je n’aurais imaginé voir George Washington chauffer une salle juste avant qu’Alexander Hamilton et Thomas Jefferson en costumes d’époque s’affrontent lors d’une battle de rap. #MicDrop – littéralement.

« Immigrants, we get the job done »

Sur les 21 membres du cast, il n’y en a que 4 qui sont blancs. À part le Roi George joué par Jonathan Groff, tous les rôles principaux (et parlés) sont joués par des acteurs issus de minorités ou descendants d’immigrés. C’est un choix voulu par Lin-Manuel Miranda, et même si cet appel à ne caster que des acteurs non-blancs pour les rôles principaux a fait polémique, il l’assume entièrement. Toutes les productions du spectacle doivent répondre à ce critère. Hamilton c’est « a story about America then, told by America now », et elle est racontée aussi bien à travers le choix du style de musique que la couleur de peau du cast. Cela s’étend d’ailleurs à l’équipe en coulisses : Paul Tazewell, qui a conçu les costumes est noir; Alex Lacamoire, le directeur musical et chef d’orchestre est d’origine cubaine (et aussi malentendant). Et puis il y a Lin-Manuel Miranda, dont les parents sont puerto-ricains.

Hamilton - Disney+

The Bullet 

The Bullet est le nom donné au « personnage » créé par Andy Blankenbuehler le chorégraphe et interprété par Ariana DeBose (dans la version originale). Bien qu’elle soit déjà présente dans Alexander Hamilton, c’est vraiment à partir de You’ll be back qu’elle prend toute son importance, lorsqu’à la fin de la chanson, un soldat britannique lui brise la nuque : c’est le premier personnage à mourir – la transformant ainsi en présage de mort. Elle est de nouveau en pleine lumière au début de Stay Alive où elle frôle Hamilton en déviant la balle tirée par un soldat britannique. Dans Ten Duel Commandments, lorsque tout l’ensemble est aligné entre Aaron Burr et Hamilton, elle se place à côté d’Hamilton.

Hamilton Disney+

Dans Yorktown, elle aide John Laurens a tuer un soldat britannique et ils se serrent la main. Quelques chansons plus tard, on apprend que ce dernier est mort. Dans l’acte II, pendant Blow Us All Away, c’est elle qui dit à Philip Hamilton où trouver George Eacker, le conduisant ainsi littéralement à sa mort. On la revoit un peu plus tard au début de Your Obedient Servant, lorsqu’elle présente à Aaron Burr la plume qui lui servira à écrire les lettres qui mèneront au duel entre Burr et Hamilton – et par extension à la mort de ce dernier. Elle apparait pour la dernière fois en tant que Bullet dans The World Was Wide Enough : dès le moment où Burr presse la détente et alors qu’autour l’ensemble ne cesse de danser, elle, elle se dirige lentement vers Hamilton.

Ariana DeBose Hamilton

« Non-Stop »

Quand on voit Hamilton en live, il est impossible d’avoir le regard partout et on passe généralement à côté de ce que fait l’ensemble en arrière-plan. Sauf qu’on s’aperçoit vite que chaque mouvement à son importance. Les membres de l’ensemble font partie intégrante du spectacle et ils font aussi avancer l’histoire à travers leur danse et leurs actions (#TheBullet). Avec le spectacle désormais disponible sur Disney+, on peut le voir un nombre incalculable de fois en observant à chaque fois un coin différent de la scène.

Quelques exemples de mes scènes de background préférées :

  • Alexander Hamilton : l’ensemble danse ce que les autres personnages chantent. Regardez bien les danseurs quand Eliza parle de la mère d’Hamilton et Washington de son cousin.
  • Helpless : essayez de garder le regard sur Peggy ou John Laurens. Je ne sais pas si Anthony Ramos et Jasmine Cephas Jones étaient déjà ensemble à ce moment-là, mais en tout cas, leurs personnages s’amusaient bien !
  • Satisfied : pendant qu’Angelica nous raconte sa version de l’histoire, l’ensemble rejoue tout Helpless et A Winter’s Ball à l’envers ! Toute la scène est « rembobinée » en version accélérée jusqu’à la rencontre entre Angelica et Hamilton au début de A Winter’s Ball. C’est fascinant !
  • Hurricane : l’ensemble rejoue notamment des scènes de « Alexander Hamilton » (quand il mentionne sa mère) et « Aaron Burr » (on voit Burr avec son livre, comme lors de sa première rencontre avec A.Ham). 
  • The World Was Wide Enough : pendant le monologue d’Hamilton, l’ensemble interprète un peu de la chorégraphie de Alexander Hamilton, My Shot, Right Hand Man etc

Il y a encore beaucoup à dire sur Hamilton, notamment autour du thème « Who lives, who dies, who tell your story ? », mais cela mériterait un article à lui seul. Ce qui est certain c’est qu‘Hamilton est l’une des meilleures créations musicales qui soient. C’est à voir, et surtout écouter, avec beaucoup d’attention. Si l’histoire est intéressante, c’est surtout la façon dont elle est racontée qui la rend aussi phénoménale. La musique, les paroles, la mise en scène… aucune autre comédie musicale ne m’avait autant fait crier au génie.

2 Comments

  1. Je crois que le rembobinage de Satisfied est ce qui me fascine le plus sur scène. C’est tellement bien fait !

    1. Oui c’est tellement impressionnant !

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